Parler de la mort aux enfants

Ce matin j'ai entendu sur Europe 1 un sociologue parler du deuil, dans cette période de confinement où les rituels sont perturbés, où il devient difficile d'accompagner les défunts. Il m'a semblé important d'intervenir, notamment pour rappeler que les enfants aussi sont en deuil. Le standard de la radio a sans doute été saturé d'appels mais j'ai essayé de faire entendre ma voix. Il ne faut pas oublier les enfants, c'est important !  "Faites pleurer les enfants !" disait Anny Duperey. Faites pleurer les enfants qui souffrent et ne le savent pas, pour qu'un jour ne se forme pas une énorme boule de chagrin qui vous empêche de respirer. Ce qu'elle raconte dans deux livres bouleversants, "Le voile noir" et "Je vous écris". 

 

Comment parler de la mort aux enfants alors que nous autres adultes sommes désemparés, à court de mots, profondément impuissants. Comment trouver les mots justes, ceux qui vont apaiser, apporter un peu d'espoir, donner du sens à ce qui n'en a pas ? C'est dans cet esprit que j'ai écrit Où es-tu, Lulu ? , tant pour les enfants que pour les adultes. En effet il arrive que des parents ou des grands-parents achètent l'album dans les salons et m'expliquent qu'ils trouvent plus d'apaisement à la lecture de mon livre que dans bien des ouvrages de deuil. Je me souviens de cette jeune femme, dont le père était décédé quand elle était enfant et n'avait sans doute pas eu, à ce moment-là, le support dont elle avait besoin. Ou encore de mon amie qui avait fait lire Où es-tu, Lulu? à sa fille adolescente, bouleversée par la mort d'un camarade de classe. "C'est triste, j'ai pleuré mais je me sens mieux après l'avoir lu !" a-t-elle commenté. Pour moi ce fut le plus beau des compliments. Mettre un peu de douceur sur le chagrin, parler de la vie qui continue et de l'être aimé qui est là, à nos côtés, dans les souvenirs heureux, dans tous ces moments partagés qui nous appartiennent pour toujours.

 

Parler de la mort c'est avant tout parler de la vie. "N'oubliez pas que la vie est toujours plus forte que la  mort !" Je n'oublierai jamais les paroles de cette femme, engagée dans la prévention des accidents domestiques, qui avait côtoyé en tant que médecin de grandes douleurs. Ne l'oublions pas. C'est le message qu'il faut transmettre à nos enfants pour qu'ils deviennent des adultes ouverts, épanouis, conscients de la fragilité de la vie et de la nécessité de vivre au présent, intensément. Parce que chaque jour est un cadeau. Ne l'oublions pas en ces temps d'incertitude et d'angoisse, revenons à l'essentiel.

 

Cécile Rescan, dont c'est l'unique album jeunesse, a réalisé  des illustrations à la fois douces, sensibles et poétiques. Nous ne nous étions jamais rencontrées. J'avais découvert Cécile grâce à une affiche réalisée pour le Salon du Livre de Rouen et je l'avais contactée. L'assistant éditorial avait sélectionné mon texte parmi d'autres et, me dit-il, "ce fut pour nous une évidence."' L'éditrice de NAIVE, que j'ai rencontrée au moment de la signature du contrat, a paru surprise quand je lui ai raconté que nous ne nous connaissions pas, Cécile et moi, avant ce projet. "C'est étonnant ! On dirait pourtant que c'est la même personne qui a écrit le texte et l'a illustré !" Une belle récompense pour nous. Comme si, par quelque étrange concours de circonstances, hasard heureux, comme l'on veut, nos sensibilités s'étaient rejointes, à un moment donné, pour aboutir à cet album qui nous tenait à cœur pour des raisons très personnelles.

 

"Le petit livre orange" comme l'avait décrit un critique de Télérama est le livre que j'aurais voulu lire à mon fils aîné, en 1996. Il lui est naturellement dédié. A 18 ans il a découvert l'album avec une profonde émotion. Ce qu'il a préféré, ce sont les dernières phrases emplies d'espoir :

"Les jours de chagrin, je te prendrai par la main.

 Les jours de fête, je danserai avec toi.

 Les jours de doute, je guiderai tes pas.

 Tu ne me vois pas, mais je serai toujours là pour toi."